Sous un abris en taule, face à la mer de Guernesey, 5 tireurs sont installés à une position de tir chacun. Ils portent leurs armes sur l'épaule en attendant leur tour.

Le tir au pigeon d’argile, entre héritage et restrictions

Discipline représentée à toutes les éditions des Jeux des îles, le tir au pigeon d’argile émane de l’histoire chasseresse de ces îles. Entre fortes traditions dans les îles au Nord de l’Europe et activité de loisir dans les îles du Sud, toutes doivent faire face à des restrictions et à la difficulté d’attirer la jeunesse. Reportage au bord du pas de tir.

« On a commencé comme beaucoup d’autres, en chassant des lapins et des faisans avec nos pères et nos oncles. Puis on a essayé le tir sportif très jeunes et la suite appartient à l’histoire », Stefan Roberts, tireur pour l’île anglo-normande de Sercq, résume en quelques mots l’expérience de nombreux tireurs. Sur ces îles pour la plupart isolées, la culture de la chasse est très présente. « Je suis fils de fermier, c’était dans notre ADN d’aller chasser et de tirer, explique Nicholas Dewe, son coéquipier de Sercq. Le tir est un héritage de notre île. C’était initialement pour avoir à manger et réguler les espèces », précise-t-il. Incluant de nombreuses catégories, le tir au pigeon d’argile est très représenté toute la semaine à Guernesey, pour la 19e édition des Jeux des îles. Les tireurs n’ont que deux chances pour atteindre des petites cibles orange fluo en argile, propulsées à une dizaine de mètres d’eux, à 70km/h, dans des directions aléatoires. Rapidité et concentration sont de mise.

La plupart des participants viennent d’îles du nord de l’Europe, où ce sport est toujours en lien avec la chasse. Pour Per Simunarson Hansen, des îles Féroé, il était indispensable de pratiquer les deux : « Je suis chasseur et nous ne sommes autorisés à chasser qu’en novembre et en décembre, argumente-t-il, je passais dix mois sans chasser alors j’ai commencé le tir au pigeon d’argile, pour devenir un meilleur chasseur ». Mêmes motivations pour Aron Lundström d’Åland, province autonome de Finlande : « J’ai commencé la chasse très jeune et lorsque j’ai voulu devenir meilleur, je suis allé sur le pas de tir avec des amis ». Transmise de génération en génération, la chasse est omniprésente dans leur vie dès leur plus jeune âge. « Sur 30 000 habitants d’Åland, je pense que 9 000 ont un permis de chasse, explique Aron Lundström, avec mon groupe d’amis, on a décidé de prendre un permis à 14 ans ». Leurs ancêtres la pratiquaient pour survivre et être autonomes, désormais c’est une activité de loisir, comme le précise Per Simunarson Hansen : « « C’est commun de chasser aux îles Féroé. On ne chasse que des oiseaux et des lièvres. C’est une tradition et une compétition. Si le gars à côté de toi à moins de lièvres, tu te sens meilleur ». Étant tous attachés à cette culture, le tir au pigeon d’argile leur permet de vivre leur passion toute l’année.

“C’est vraiment un sport, c’est une bonne camaraderie. On se serre les coudes et on devient proches”

Patrick Mahoney, tireur pour l’île des Bermudes

Au sud de l’Europe, un sport depuis 1930

Si sur les îles du nord de l’Europe la pratique sportive est arrivée récemment, les îles du sud comme Gibraltar et les Bermudes la développent depuis des dizaines d’années et exclusivement dans un cadre sportif. « Ce n’est pas une sorte d’héritage, juste du sport, explique James Sawyer, représentant de Gibraltar cette semaine à Guernesey, les clubs se sont créés à la fin des années 1930. Il y avait beaucoup de tireurs à partir des années 1950 jusqu’aux années 1970 ». Interdiction de chasser sur ce territoire britannique au sud de l’Espagne, les amateurs de chasse doivent traverser la frontière. La discipline est encadrée et se découvre comme tout autre sport : « J’étais au travail, un ami m’a dit qu’il était membre d’un club et m’a invité à aller tirer avec lui. J’y suis allé et je n’ai jamais quitté le club depuis », nous livre James Sawyer.

Sur l’île des Bermudes, l’expérience est similaire pour Patrick Mahoney. Invité par des amis à aller tirer, le natif des États-Unis y a rapidement pris goût : « C’est vraiment un sport, confie le quarantenaire, c’est une bonne camaraderie, on se serre les coudes et on devient proche les uns des autres ». Cependant, la pratique est taboue et très encadrée aux Bermudes. Seulement 40 personnes font partie du même club que Patrick Mahoney et peu d’autres pratiquent le tir sportif sur l’île. « Les armes à feu font l’objet d’importantes restrictions, affirme-t-il, il faut avoir 18 ans pour tirer. Il faut être agréé par la police pour toucher une arme et chaque arme a sa licence ». Difficile de développer ce sport aux Bermudes, ils sont venus à trois à Guernesey pour représenter leur île de 63 000 habitants. La différence de culture est frappante entre ces îles où la pratique et l’utilisation des armes sont très régulées, en opposition aux îles du nord de l’Europe chez lesquelles la culture chasseresse est dominante. Liées par la passion du sport, toutes les îles connaissent la même problématique : attirer des jeunes pratiquants à faire du tir au pigeon d’argile.

Une discipline amenée à disparaître ?

En arrivant sur le pas de tir des Jeux des îles 2023, le constat est rapide. Le tir sportif est une discipline masculine et vieillissante. Les plus jeunes tireurs présents cette semaine ont passé la trentaine. Nicholas Dewe, de l’île de Sercq, voit sa discipline perdre des pratiquants : « J’ai essayé d’enseigner le tir aux enfants de l’île. Il n’y a plus beaucoup d’agriculteurs, les gens ont d’autres emplois et ne sont plus intéressés par le tir ». Toutes les îles font face à la même difficulté : attirer les jeunes. Aron Lundström justifie cela simplement : « Les jeunes ne font pas de tir au pigeon d’argile à cause du prix, explique le résident d’Åland, la pratique est trop chère pour des personnes sans revenu ». Certains jeunes viennent essayer le tir mais ne s’entraînent pas régulièrement. Pour James Sawyer, d’autres problématiques s’ajoutent à la question financière : « Comme nous ne pouvons utiliser que des munitions en argent pour respecter l’environnement, les armes sont lourdes et parfois ils ont du mal à les tenir. Ça demande de l’entraînement ».

En effet, le tir au pigeon d’argile doit répondre à des problématiques environnementales. Avant, les balles étaient en plomb, bien plus polluantes que l’argent. Certains composants des cartouches étant en plastique, les tireurs doivent nettoyer les pas de tir après leurs entraînements pour ne pas polluer, tandis que les cibles en argile sont biodégradables. La chasse a aussi l’image d’une pratique non protectrice des animaux et est peu populaire auprès des plus jeunes. Si elle devra évoluer, la discipline est toujours représentée aux Jeux Olympiques et tente tous les de quatre ans de profiter de cette médiatisation.

Audrey LEROUX

Pour ne plus être discriminées, harcelées, invisibilisées, il est temps pour nous, femmes journalistes de sport, de se compter, de s’unir et de peser.

Adhérer ou faire un don

Adhérez dès aujourd’hui à l’association ou faites un don.